L'Atelier du Roman n° 108
Le visage de la liberté – VIIIe Rencontre de Thélème
Huitième Rencontre de Thélème consacrée, comme les sept précédentes Rencontres, à la liberté. Ce n’est pas un hasard si nous parlons maintenant du visage. Car c’est à nos jours que la question se pose de toute urgence : pourrons-nous encore sauver notre visage de liberté à l’ère de la robotisation galopante et de la standardisation des besoins et des comportement ? Onze voix distinctes. Onze approches différentes pour décliner la même inquiétude. Que notre monde ne semble pas avoir pris conscience des retombées existentielles de ses «avancées» bio-technologiques.
Dans le reste de la matière, nous passons d’un continent à l’autre, d’une époque à l’autre et des maîtres (Čapek, Kundera) aux contemporains (Patrice Jean et Morgan Sportès). Le tout parsemé des chroniques romanesques et, bien entendu, des dessins humoristiques de Sempé.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 108
Le visage de la liberté – VIIIe Rencontre de Thélème
SOMMAIRE
Ouverture
LE VISAGE DE LA LIBERTÉ
Slobodan Despot, Un visage pour l’éternité
Patrice Jean, L’asservissement du visage
Nunzio Casalaspro, Trois rêves
Thierry Gillybœuf, Le visage narcissique de la liberté
Bertrand Lacarelle, La liberté dans la vallée
Andrea Inglese, Héritage et liberté
Reynald Lahanque, La liberté, les visages
Olivier Maillart, Couvrez ce visage que je ne saurais voir !
Olivier Maulin, Éloge de la liberté concrète
Marion Messina, Le visage : ultime victime de la société liquide
Lakis Proguidis, Mots d’antan
À la une : Boniface Mongo-Mboussa
Critiques
Florent Duffour, L’apocalypse, selon Richard Matheson
Jacques Dewitte, La grâce de l’accord – Une scène de L’Usage de l’homme, d’Aleksandar Tišma
Adrian Mihalache, Le roman de la formation – Sur La Poursuite de l’idéal, de Patrice Jean
Jakub ČeŠka, Le dialogisme de l’expérience romanesque de Kundera
Raphaël Arteau Mcneil, Le roman, dans toute son évidence – La vie au long
cours. Essais sur le temps du roman, d’Isabelle Daunais
À la une : Yannick Roy
De près et de loin
Maja Brick, La littérature couronnée de virus
Karel Čapek, Si j’étais linguiste
SamuelBidaud, Confessions d’un linguiste
Morgan Sportès – Lakis Proguidis, De la critique – Suite sans fin
À la une : Marion Messina
Au fil des lectures
Isabelle Daunais, Sur la relecture
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 108
Le visage de la liberté – VIIIe Rencontre de Thélème
Avec cette VIIIe Rencontre de Thélème prend fin le cycle consacré à la liberté. Le but n’a pas été d’aboutir à quelque conclusion. Il nous a paru plus intéressant d’essayer d’impliquer la littérature dans la défense, l’illustration et la pratique de la liberté. Avons-nous réussi? Qui peut juger? En tout cas, nous, nous avons marché pendant huit ans dans le brouillard, convaincus que sans cette implication la littérature n’a aucun sens.
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Je tiens à remercier la Région Centre-Val de Loire, la Communauté de communes Chinon Vienne et Loire et l’association Autour de Babel. C’est grâce à leur soutien que les Rencontres de Thélème sont reconduites d’année en année.
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L’année dernière Milan Kundera a reçu le prix Kafka, la plus haute distinction littéraire tchèque.
Nous publions ici le discours prononcé par Jakub Češka durant la cérémonie d’attribution.
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Chaque numéro de L’Atelier du roman se veut un essai polyphonique. La basse continue reste toujours la même : le dialogue avec le monde.
Ce qui n’a rien à faire avec ce qui fait débat, comme on dit, mais avec ce qui fait réfléchir. Ainsi, nous parlons d’une scène d’un roman de 1976 du romancier serbe Aleksandar Tišma (Jacques Dewitte), d’un roman de science-fiction de 1954 de l’Américain Richard Matheson (Florent Duffour), d’un essai littéraire d’Isabelle Daunais publié en 2021 à Montréal (Raphaël Arteau McNeil), du dernier roman de Patrice Jean (Adrian Mihalache) et de l’éternelle Méditerranée (Boniface Mongo-Mboussa).
Dans le dialogue avec le monde, c’est à la littérature de dicter ses sujets et ses priorités.
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Contre l’épidémie de la mélancolie, Sempé matin, midi et soir.
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L’intellect a longtemps servi à «démystifier», jusqu’au moment où il est devenu lui-même l’instrument d’un monstrueux mensonge. Le savoir et la vérité ont depuis longtemps déjà cessé d’être le souci principal de l’intellectuel – remplacés tout simplement par celui de ne pas laisser voir qu’on ne sait pas. L’intellectuel, qui étouffe sous le poids des connaissances qu’il n’a pas assimilées, biaise comme il peut pour ne pas se laisser attraper.
Witold Gombrowicz, Journal, 1962.
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Puisque nous passons par Prague, lisons ce court écrit de Karel Čapek sur le premier devoir d’un linguiste, ainsi que les «confessions» de son traducteur Samuel Bidaud.
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Les Rencontres précédentes : 2014 : «Mot de passe» Thélème!» (François Taillandier). 2015 : «Quelles règles pour quel jeu?» (Jean-Yves Masson).
2016 : «Liberté – quel intérêt?» (Pia Petersen). 2017 : «Une liberté impertinente» (Denis Grozdanovitch). 2018 : «L’identité contre la liberté» (Belinda Cannone).
2019 : «Le corps est-il le noyau ou la frontière de notre liberté?» (Simonetta Greggio). 2020 : «Désir d’ailleurs: désir de liberté?» (Béatrice Commengé).
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À Thélème nous allons pour discuter. Nos articles sont rédigés dans un temps ultérieur. Ce qui est alors publié ici est le fruit d’un banquet et pas d’un colloque.
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À partir de ce numéro Marion Messina intègre l’équipe de nos chroniqueurs : Théo Ananissoh, Marek Bieńczyk, Trevor Cribben Merrill, Isabelle Daunais, Benoît Duteurtre, Yves Lepesqueur, Olivier Maulin, Boniface Mongo-Mboussa, Massimo Rizzante, Yannick Roy et François Taillandier.
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Tout est fait pour empêcher la littérature de susciter notre dialogue avec le monde. Ce qui n’exclut pas les exceptions : Maja Brick, Yannick Roy, Morgan Sportès.
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Les Rencontres de Thélème continuent. Cette année nous inaugurons un nouveau cycle : «Lire et relire Rabelais». Toujours à l’abbaye de Seuilly, près de La Dévinière. Là où, suppose-t-on, a vu le jour le père de la compagnie pantagruélique. Et toujours avec les écrivains qui croient à l’immortalité de l’art.
L. P.
L'Atelier du Roman n° 107
John Cowper Powys – Au commencement fut la sensation
Vu l’inquiétude, feinte ou sincère, qui s’empare de l’homme contemporain face au sort de la nature et des enfants contemporains face au sort de la planète, il nous a semblé que la lecture et relecture de l’œuvre de John Cowper Powys (1872-1963) était nécessaire, voire vitale. La tâche a été accomplie par une douzaine d’écrivains. Sans consultation préalable et libres de leurs choix, ils aboutissent tous au même constat – chacun à sa manière : s’il y a une grande leçon à tirer de Powys, elle ne peut concerner que la disparition progressive du rapport sensuel de l’homme à la nature. Disparition dont nous sommes désormais bien placés pour mesurer les conséquences catastrophiques.
L’Atelier du roman étant, comme disait l’autre, la plus grande diversité dans le plus petit espace, nous allons dans le reste de la matière du Japon aux Etats-Unis et de l’Afrique à la Russie en passant toujours par la France – sans oublier ni les mythes prométhéens ni nos visées sur les autres planètes.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 107
John Cowper Powys – Au commencement fut la sensation
SOMMAIRE
Ouverture
Denis Grozdanovitch, Un long compagnonnage – Huit brèves remarques
Christine Jordis, Les « destructeurs siroccos sociaux » et le besoin de solitude
Nunzio Casalaspro, Écouter la voix des morts
Judith Coppel, Se libérer des idéologies
Goulven le Brech, L’escapiste sensuel et le Pays de Galles
Amélie Derome, L’épopée au microscope – L’infime à l’assaut de l’infâme
Marco Martella, En lisant Une philosophie de la solitude
Thierry Gillybœuf, D’homme à homme et peau pour peau
Eryck de Rubercy, Chantre enthousiaste de la nature
Pierrick Hamelin, Plage de Lulworth, un après-midi de juin
MarcellaHenderson-Peal, Vers la liberté
Lakis Proguidis, L’éternel premier matin du monde
Dates et œuvres
À la une : Yves Lepesqueur
Critiques
Benjamin Hoffmann, Avec Murakami
Florian Beauvallet, La pastorale contaminée de Némésis – Sur Némésis, de Philip Roth
Bernard Mouralis, Créer la beauté – Le charme discret de Théo Ananissoh
Julien Syrac, L’impossible épiphanie – Sur Soumission, de Michel Houellebecq
À la une : Olivier Maulin
De près et de loin
Philippe Raymond-Thimonga, Les films d’Andreï Tarkovski
Aleksandra Pavićević, De la lecture et d’autres démons
Les cahiers de l’atelier
Kristaq Cici, L’âge de déraison
Fulvio Caccia, Miranda
À la une : Théo Ananissoh
Au fil des lectures
Marek Bieńczyk, Les rapides et les derniers
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 107
John Cowper Powys – Au commencement fut la sensation
Romancier, nouvelliste, poète, essayiste et critique littéraire hors du commun, John Cowper Powys (1872-1963) reste toujours le grand inconnu. Il a passé sa vie en allant d’un endroit à l’autre pour défendre ses amours littéraires. Des artistes de tous les temps. Des anciens et des modernes. Probablement le temps lui a manqué pour parler suffisamment de sa propre œuvre.
Il y a huit ans que Denis Grozdanovitch nous a signalé l’importance de John Cowper Powys. Un grand merci. Sans son insistance et son aide ce numéro n’aurait jamais pu être réalisé.
Qui dit Powys, dit rapport esthétique à la nature. Et, inversement, quand on dit nature, on dit sève qui irrigue en permanence l’imagination de l’auteur d’Apologie des sens. Entre l’œuvre de Powys et la nature il n’y a pas solution de continuité.
Nous revenons à Murakami (Benjamin Hoffmann), Philip Roth (Florian Beauvallet), Théo Ananissoh (Bernard Mouralis) et Houellebecq (Julien Syrac). Question de principe atelieresque : pour faire avancer d’un pas le dialogue esthétique, il faut faire mille pas en arrière.
Question aussi d’embrasser simultanément les « rapides » et les « derniers », dont parle Marek Bieńczyk.
Et avant de nous engager définitivement dans le tunnel du tout numérique, prêtons encore une fois l’oreille à la voix de la nature telle que l’a entendue un de ses derniers enfants.
À défaut de reconnaître philosophiquement et légalement la distinction entre des ressources productives rares et des communaux partagés, poreux, la société rigidement étatique d’un futur proche sera une expertocratie oligarchique, non démocratique, autoritaire, gouvernée par les écologistes.
Ivan Illich, Le Genre vernaculaire, 1982.
Aussi un grand merci à Jean-Jacques Sempé, Goulven Le Brech, Marcella Henderson-Peal et Slobodan Despot.
À part les articles concernant le thème de chaque numéro, qui sont pour ainsi dire commandés, tout le reste nous parvient au hasard du temps. J’arrange alors les choses. Ainsi, je me suis dit qu’il faut garder pour « Powys » les remarques d’Aleksandra Pavićević sur la lecture, Andreï Tarkovski (Philippe Raymond-Thimonga) et les deux nouvelles (Kristaq Cici et Fulvio Caccia). Le hasard, oui, mais apprivoisé. Ce qui ferait plaisir, me semble-t‑il, à John Cowper Powys.
La graphomanie n’est pas toujours une maladie. Il y a des cas heureux. La preuve, Georges J. Arnaud (Olivier Maulin).
Au moment où nous nous apprêtons à aller voir ce qui se passe sur les autres planètes (Théo Ananissoh), un détour par les mythes de Prométhée et leurs différentes interprétations devient plus qu’indispensable (Yves Lepesqueur).
En 2022, mars, la VIIIe Rencontre de Thélème, « Le visage de la liberté ». Juin, Alberto Bolaño. Septembre, Déshumanité, de Julien Syrac. Décembre, Adalbert Stifter.
Au commencement fut la sensation. Voilà une hypothèse anthropologique qui va à l’encontre de tous les idéaux et de tous les projets de l’humanité post-cartésienne.
L. P.
L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
Danilo Kiš (1935-1989) est l’un des plus grands écrivains du XXe siècle qui continue d’être, malheureusement, très peu connu. Dans ce numéro nous sommes réunis pour parler exclusivement de son œuvre. Nous sommes trente et de plusieurs pays. Nous n’avons qu’un désir: voir enfin Danilo Kiš reconnu du grand public. Non seulement par souci de justice; il y a tant de grands écrivains injustement oubliés… Sauf que Kiš nous est nécessaire. Car son œuvre, déployée sur fond de l’expérience du nazisme et du communisme, parle d’un mal qui ronge la conscience européenne depuis un siècle, d’un mal qu’aucune victoire sur les champs de bataille n’arrivera à dissiper. Peut-on le dissiper par l’art? La voix de Kiš n’est pas celle d’un guide ou d’un prophète. C’est la voix de la création. C’est la voix du beau, la voix qui illumine l’esprit dans le brouillard du monde qui nous entoure. Brouillard de plus en plus épais du fait d’une production littéraire mise au service de la victimisation. Dans ce sens, l’œuvre de Kiš est actuelle plus que jamais.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
SOMMAIRE
Ouverture
Guy Scarpetta, Réflexions éparses sur (et autour de) Danilo Kiš
Ilma Rakusa, Écrire contre l’évanescence – Danilo Kiš et son art du Non
omnis moriar
Filip Čolović, Kiš et moi ou Des raisons intimes pour écrire le roman
Une comptine pour Andréas Sam
BožidarStanišić, L’écrivain sur le banc des accusés – Notes sur La Leçon
d’anatomie, de Danilo Kiš
Mark Thompson, L’empreinte de Beckett
Viktórija Radičs, Pourquoi il faudrait que je lise Kiš encore plus attentivement
Christian Salmon, Guerre au kitsch !
Aleksandar kostić, Les variations de Kiš sur le thème de la rencontre entre
la vie et la littérature – de La Mansarde à l’Encyclopédie des morts
Adrian Mihalache, La lecture : ennemi de l’écriture ?
Reynald Lahanque, Biographies brisées
Danilo Kiš, Homo poeticus malgré tout
Massimo Rizzante, Du début à la fin : comment donner l’essentiel d’une existence ?
Katharina Wolf-Grießhaber, Une bombe de la grosseur d’un mot
Norbert Czarny, Des tombes vides
Denis Grozdanovitch, Le petit garçon et l’archange du grand sommeil
Muharem Bazdulj, La vie littéraire après la mort
Sylvain Prudhomme, Rien ne sera oublié
Simona Carretta, Le même et l’autre
Slobodan Šabeljić, Mon ami Danilo
Joël Roussiez, Renoncer à la cohérence – Une esthétique pour Sablier
Ivana Velimirac, Quelques fragments sur Danilo Kiš
Danilo kiš, Conseils à un jeune écrivain
Antonio Muñoz molina, Le fabulateur et le témoin
Miljenco jergović, Le vol de l’Encyclopédie des morts – « Il est glorieux de
mourir pour la patrie », une lecture
John Cox, Une fondation pour tout – La confession d’un admirateur à peine
caché de Danilo Kiš
Olivier Maillart, Sonate de spectres – À propos d’Un tombeau pour Boris Davidovitch
Davor Beganović, Suum cuique – Le combat de Danilo Kiš pour le droit et
la justice
Éric Naulleau, Un tombeau pour Danilo Kiš
Jean-Pierre Morel, La mille et unième fois
Midhat kurtović, Qu’avons-nous appris d’Un tombeau pour Boris Davidovitch ?
Baptiste Arrestier, Rien n’est plus réel que la fiction – Réflexions sur le
scandale Danilo Kiš
Lakis Proguidis, L’antenne de l’espèce
........ Dates et œuvres
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 106
Danilo Kiš – La voix de l’art
Plus le temps passe, plus Danilo Kiš devient actuel. Nous lui avons consacré notre huitième numéro en automne 1996. Maintenant nous revenons. Plus nombreux et de plusieurs pays. Pour continuer de parler de l’un des plus grands écrivains du xxe siècle. Et nous en reparlerons encore, certainement. Car son œuvre illumine le parcours de L’Atelier du roman depuis sa fondation.
Voici le début de notre « Ouverture » de 1996 :
Dans mon cas, les choses sont en fait très simples. Je suis avant tout un écrivain européen, car la Yougoslavie, pays dont je viens, fait partie de l’Europe, de sa culture et sa littérature sont européennes. Au sens plus étroit, cependant, je me sens redevable à l’Europe centrale : le milieu hongrois dans lequel j’ai passé mon enfance, la connaissance de la langue et de la littérature hongroises ont eu, en fin de compte, une influence déterminante sur moi. Je suis donc passé, au sens spirituel, de la Yougoslavie à l’Europe centrale. D’où le fait que le patrimoine européen tout entier est également mon patrimoine – je ne suis pas seulement moi-même. (Le Résidu amer de l’expérience.)
Ainsi parlait Danilo Kiš en 1989, quelques mois avant sa mort.
Sept ans à peine nous séparent de ces propos. Mais j’ai l’impression qu’il y a des décennies. Que de mots oubliés, retirés, vidés de leur sens : écrivain européen, Yougoslavie, Europe, Europe centrale ! »
Rien à changer. Juste à ajouter parmi les mots « oubliés » depuis, celui du patrimoine. Et attirer aussi l’attention du lecteur sur la dernière phrase : je ne suis pas seulement moi-même.
Je tiens à remercier Pascale Delpech. Sans son aide et ses conseils, ce numéro n’aurait pas pu être réalisé.
Je suis obligé de temps à autre de rappeler que nous ne faisons pas de « dossiers ». Nous ne distribuons pas des tâches. Ces écrivains, par exemple, qui ont eu la gentillesse de nous confier leurs articles sur Danilo Kiš ont été sollicités pour écrire sur un écrivain qui compte beaucoup à leurs yeux. Il appartenait à eux de choisir le sujet, la forme, de parler d’une ou de plusieurs de ses œuvres, etc. Mais, dirait-on, ne court-on ainsi le risque de trop parler d’un livre au détriment des autres ou encore de laisser dans l’ombre des pans entiers de l’œuvre des auteurs concernés ?
En effet. Mais, en premier lieu, la liberté prime sur tout, comme disait le grand Danilo, et, ensuite, l’accumulation de savoirs n’a jamais rimé avec la création artistique et le dialogue esthétique.
Infinis remerciements à Steven Sampson, Jean-Yves Masson, Françoise L’Homer-Lebleu, Carmen Ruiz de Apodaca, Ivana Velimirac, Massimo Rizzante, Miguel Gallego Roca, Eryck de Rubercy et Jean-Jacques Sempé.
L’œuvre de Danilo Kiš est considérable. Romancier, essayiste, traducteur, familier de toutes les grandes traditions littéraires allant de l’Atlantique à l’Oural, il est peut-être le dernier grand esprit universel dont peut se réclamer encore l’Europe. Toute son œuvre tourne autour de deux expériences collectives majeures de sa vie : le nazisme et les régimes communistes. Le nazisme, parce que son père juif a disparu à Auschwitz. Les régimes communistes, parce que né et grandi en Yougoslavie. Cependant son œuvre n’est ni un témoignage, ni une accusation ex cathedra, ni une analyse politico-idéologique, ni une satire. Mais elle est tout cela à la fois rehaussé, sublimé, métamorphosé par l’art.
L. P.
L'Atelier du Roman n° 105
Philip K. Dick – La science comme fiction, l’humain comme réalité
Philip K. Dick (1928-1982) est mondialement connu comme auteur de science-fiction. Il est traduit dans le monde entier. Plusieurs de ses œuvres ont été adaptées au cinéma et à la télévision. Toutefois, si L’Atelier du roman se penche sur l’œuvre de Philip K. Dick, c’est pour rectifier le tir. À savoir, défendre Philip K. Dick, indépendamment du genre littéraire qu’il a pratiqué, comme un romancier parmi les plus grands du XXe siècle. Quoique son univers romanesque se déploie le plus souvent sur fond d’inventions technologiques futuristes, il n’est jamais arbitraire. Car il ne fait qu’incarner ce qui se préparait dans les laboratoires américains de haute technologie après la Deuxième Guerre mondiale. Et ce qui s’y préparait, au-delà des progrès et des inventions, c’était l’autonomie de la science par rapport à toutes les autres activités humaines. À nos jours, le dogme de la science pour la science n’est même pas discutable. Mais c’est Philip K. Dick qui a exploré ses retombées sur la vie des gens et sur l’humanité. Dans le reste de la matière, à part les articles critiques (sur Cărtărescu, Rushdie, Laroque, Jung, Hugo, Ruskovich, Tallent), les chroniques et les dessins humoristiques Sempé, signalons trois excellents sur les prouesses de l’esprit sociétal.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 105
Philip K. Dick – La science comme fiction, l’humain comme réalité
SOMMAIRE
Ouverture
Nicolas Léger, L’œuvre de Dick : l’atelier de la pensée
Gérard Klein, Paradoxes de Philip K. Dick
Andrea Inglese, Philip K. Dick n’a jamais été moderne
Éric Naulleau, Philip K. Dick, écrivain chrétien
Francesco Forlani, Le chant de la fourmi
Slobodan Despot, La nouvelle couronne
Gabriele Frasca, Et Dick leva les yeux vers le ciel
Raphaël Arteau mcneil, Le chat et le crapaud
Olivier Maillart, Poétique de la perception
Steven Sampson, Les K. Dick et Kafka
Mathieu Dayras, Les vilains nazis rêvent-ils des temps minoritaires ?
LakisProguidis, Et c’est pour nous que sonne le glas de ce bip-bip
.............Date et œuvres
À la une : Trevor Cribben Merrill
Critiques
Reynald Lahanque, « Le maître des rêves » – Solénoïde, de Mircea Cărtărescu
Miguel Gallego Roca, Contre la caricature de l’instant présent –Quichotte, de Salman Rushdie
Alain Mascarou, Un poème peut cacher un roman – L’Œuvre de Napoléon, de Didier Laroque
Romain Debluë, Victor Hugo et le roman de l’excès
Charles Villalon, Le triomphe de Pascal Ébodoire – Principe de précaution, de Matthieu Jung
Marion Messina, Le roman sauvage américain : la barbarie comme prix de la liberté
À la une : Yannick Roy
De près et de loin
Jean-Yves Masson, Le monde enchanté de l’émancipation – ou comment
on recrute un professeur de philosophie
Steven Sampson, L’utérus esclave – L’Homme désincarné, de Sylviane Agacinski
Olivier Maillart, Éloge du travestissement
Au fil des lectures
François Taillandier, A-t‑on lu Les Misérables ?
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 105
Philip K. Dick – La science comme fiction, l’humain comme réalité
«Science sans conscience, c’est la ruine de l’âme», disait Rabelais. Quatre siècles plus tard, Philip K. Dick (1928-1982) a mis en roman l’adage qui sied mieux à notre monde : «Science sans l’homme, c’est la ruine de la civilisation.»
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Jamais parlé de Hugo dans nos cent quatre numéros. Et voilà que paraissent simultanément deux articles (Romain Debluë et François Taillandier). Hasard réparateur.
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Et vin inspirant. Je tiens à remercier Francesco Forlani qui durant l’une de nos soirées arrosées, il y a trois ou quatre ans, il a lancé le nom de Philip K. Dick et par la suite il nous a aidé à préparer cet hommage.
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Dans La Vérité avant-dernière de Dick, on fait croire aux gens qu’ils ne doivent pas sortir de leur souterrain car la guerre ferait rage à la surface de la terre… ce qui est faux : dehors, la nature belle et des hommes qui tournent des films de guerre.
J. B.
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Deux romans récents entrent en résonance avec l’univers dickien : Solénoïde, de Mircea Cărtărescu (Reynald Lahanque) et Quichotte, de Salman Rushdie (Miguel Gallego Roca).
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Il a fallu attendre douze ans pour que Principe de précaution, de Matthieu Jung rencontre son monde (Charles Villalon). Un monde dont d’autres romans ne cessent d’explorer les mystères. Exemples : L’Œuvre de Napoléon, de Didier Laroque (Alain Mascarou) ou encore Idaho, d’Emily Ruskovich et My absolute darling, de Gabriel Tallent (Marion Messina). Un monde toujours énigmatique, surtout quand il est masqué (Trevor Cribben Merrill).
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L’essor des techniques, en Europe, ne s’est nullement accompagné d’un essor de l’humanisme… l’esprit de l’Europe a-t‑il réussi à s’infiltrer dans la machine ? Que s’est-il passé pour que l’on constate chez nous, les humanistes, une pareille dégringolade : la musique tombe en miettes, la poésie se dessèche, la littérature devient affreusement ennuyeuse.
Witold Gombrowicz, Journal, 1966.
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Et pendant ce temps-là, la science progresse dans tous les domaines : universitaire (Jean-Yves Masson), médical (Steven Sampson), sociétal (Olivier Maillart) et mortuaire (Yannick Roy).
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De tous les romanciers du xxe siècle, c’est probablement Philip K. Dick qui a exploré le plus grand paradoxe de notre temps : plus on devient performant en sciences cognitives et en outils bio-technologiques, plus on diminue psychiquement et intellectuellement.
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Dans ce monde qui va se rétrécissant, chacun de nous a besoin de tous les autres. Nous devons chercher l’homme partout où il se trouve.
Quand, sur le chemin de Thèbes, Œdipe rencontra le Sphinx qui lui posa son énigme, sa réponse fut : l’homme. Ce simple mot détruisit le monstre. Nous avons beaucoup de monstres à détruire. Pensons à la réponse d’Œdipe.
Georges Séféris, Essais, 1963.
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Plus grand réparateur que le hasard, c’est le rire – merci, Jean-Jacques.
L. P.
L'Atelier du Roman n° 104
Désir d’ailleurs : désir de liberté ?
Le sujet de cette 7e Rencontre de Thélème avait été fixé avant le déclenchement de l’épidémie Covid-19 et les restrictions des libertés supposées nécessaires pour la combattre. C’est donc le hasard qui a fait que ce dialogue par articles interposés sur le rapport de l’«ailleurs» et la «liberté» trouve aujourd’hui sa place dans l’actualité la plus brûlante. Et c’est cette actualité qui nous a poussé à reprendre Montaigne, Descartes, Chateaubriand, Stendhal, Flaubert, Rimbaud, Loti, Segalen, Conrad et tant d’autres «voyageurs». Leur ailleurs vit toujours malgré les efforts de ce monde connecté et adorateur du Même pour les effacer. «Ailleurs» oblige, nos pages nous emmènent à Londres de l’après-guerre, à la Tahiti d’avant la guerre, à l’Algérie des années 50, à la Tchécoslovaquie occupée et à la Roumanie actuelle. Notons aussi l’«ailleurs» à chaque numéro renouvelé de nos chroniqueurs et l’«ailleurs» éternel contre tous les maux illustré par Jean-Jacques Sempé.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 104
Désir d’ailleurs : désir de liberté ?
SOMMAIRE
Ouverture
Béatrice Commengé, « Ailleurs ici partout »
Théo Ananissoh, La possibilité du vide
Steven Sampson, L’arbre en moi
Lakis Proguidis, La grand-mère et le roman
Yves Lepesqueur, Quand l’ici devient un ailleurs
Eryck de Rubercy, Le chemin de l’ailleurs est merveilleusement libre
François Taillandier, Et moi aussi, je suis allé à Harar !
Denis Grozdanovitch, L’ailleurs serait-il tout près ?
Slobodan Despot, Le retour de l’ailleurs
À la une : Olivier Maulin
Critiques
Massimo Rizzante, Un Adam dans les ruines – Sur Le Roman de Londres, de Miloš Tsernianski
Riccardo Pineri, Le mirage de l’origine – Segalen lecteur de Gauguin
Eryck de Rubercy, Fruit d’une étude mort-née sur Bouvard et Pécuchet
René de Ceccatty, L’Algérie perdue et retrouvée de Béatrice Commengé
– Sur Alger, rue des Bananiers
Patrick Corneau, L’avènement d’un monde flottant – À propos de Sans Bill ni Murray, d’Alexandre Steiger
Florian Beauvallet, L’éclatante désinvolture du roman – Sur Les Lâches, de Josef Škvorecký
À la une : Boniface Mongo-Mboussa
De près et de loin
Olivier Maillart, Sous le signe du labyrinthe
Samuel Bidaud, L’art qui parle
À la une : Yves Lepesqueur
Les cahiers de l’Atelier
Denis Wetterwald, Les citrouilles de Marcel françois taillandier, L’avenir
Marian Ilea, L’« objectif touristique » de la ville de Mittelstadt
Au fil des lectures
Benoît Duteurtre, Les mots et les lieux
Le thème de la VIIIe Rencontre de Thélème
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 104
Désir d’ailleurs : désir de liberté ?
Lorsque nous avons inauguré, il y a sept ans, ce cycle de Rencontres autour de la liberté, nous savions que nous partions dans le brouillard. Pourquoi la liberté? Quel rapport avec le roman? Est-ce un sujet littéraire? Mais quel sujet aurait pu ne pas être littéraire?
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Je tiens à remercier la Région Centre-Val de Loire, la Communauté de communes Chinon Vienne et Loire et l’association Autour de Babel. C’est grâce à leur soutien que les Rencontres de Thélème sont reconduites d’année en année.
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«Les citrouilles de Marcel» sont tirées de la Confinerie de Denis Wetterwald. La Confinerie, c’est son journal poétique en ligne, rédigé à chaque hospitalisation du pays.
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Chaque année, à l’abbaye de Seuilly, nous scrutons le même mot sous l’angle proposé par un écrivain différent. En 2014 : « Mot de passe : Thélème ! » (François Taillandier). 2015 : « Quelles règles pour quel jeu ? » (Jean-Yves Masson). 2016 : « Liberté – quel intérêt ? » (Pia Petersen). 2017 : « Une liberté impertinente » (Denis Grozdanovitch). 2018 : « L’identité contre la liberté » (Belinda Cannone). 2019 : « Le corps est-il le noyau ou la frontière de notre liberté ? » (Simonetta Greggio). Nos Rencontres ont lieu au mois d’octobre. Ici nous publions les articles que les participants ont rédigés ultérieurement.
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L’homme est un jouisseur tout autant qu’un destructeur et un créateur ; et nous arrivons à un temps où, plus que jamais auparavant, l’humanité a besoin de retomber dans la contemplation. Les plus héroïques appels lancés en l’honneur des plus nobles causes ne pourront changer l’indomptable « Moi » faustien, le vieux « Moi » homérique et biblique en un rouage à tout jamais inséré dans une machine impersonnelle.
John Cowper Powys, Autobiographie, 1934.
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Rien n’est prémédité. L’« ailleurs » appelle l’ailleurs : la Tahiti de Segalen (Riccardo Pineri), Londres de Miloš Tsernianski (Massimo Rizzante), le Kostelec imaginaire de Josef Škvorecký (Florian Beauvallet) et la Roumanie de Marian Ilea.
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Entourés que nous sommes de tant de spécialistes, nous risquons de perdre de vue les pionniers de cette grande confrérie : Bouvard et Pécuchet (Eryck de Rubercy).
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De temps en temps nous parlons aussi des œuvres de nos collaborateurs. Ici, le dernier livre de Béatrice Commengé (René de Ceccatty) et les romans de Théo Ananissoh (Boniface Mongo-Mboussa). Et tant mieux si cela concerne deux participants à cette VIIe Rencontre : leur propos acquiert du relief.
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Yves Lepesqueur commente dans sa chronique la controverse des années cinquante entre Maxime Rodinson et Claude Lévi-Strauss sur la nature du progrès. Incontestablement, il s’agissait d’une autre époque. Les gens communiquaient entre eux par des pensées articulées et non par des news interposées. Il ne nous reste dorénavant que la contemplation que recommande Powys.
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Nous avançons dans le brouillard avec le mot de passe avancé par François Taillandier dès la première Rencontre : Thélème ! Dans cette fameuse abbaye, il n’y avait ni guide spirituel, ni maître à penser, ni grand pédagogue, ni législateur. On était libre d’y entrer. On était libre d’en sortir. Et, durant le séjour, on participait librement aux discussions, à l’apprentissage, aux plaisirs de la vie et aux jeux collectifs. Les anciens Thélémites ne dissertaient pas sur la liberté.
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En contrepoint à l’« ailleurs » des nouveaux Thélémites, il y a l’ailleurs du « flottement » dont parle Patrick Corneau à propos du roman d’Alexandre Steiger, l’ailleurs labyrinthique (Olivier Maillart), l’ailleurs du rire (merci Jean-Jacques !), l’ailleurs de l’art tout court (Samuel Bidaud), l’ailleurs, enviable plus que jamais, des libertins (Olivier Maulin) et, last but not least, l’ailleurs des brasseries englouties (Benoît Duteurtre).
L. P.
L'Atelier du Roman n° 103"
Flannery O’Connor – Le réalisme des lointains
Ce numéro spécial Flannery O’Connor peut être considéré comme la suite au précédent numéro dédié à Karel Čapek, le grand sceptique face au progrès technique. Maintenant nous passons de l’Europe centrale des années d’avant la Deuxième Guerre mondiale à l’Amérique des années qui ont suivi cette guerre. Le constat demeure le même : l’homme devient de plus en plus victime de son rationalisme et de ses projets radieux.
Flannery O’Connor est chrétienne catholique. Avec son humour inné de grand romancier et sa foi, magiquement accordés, O’Connor a réussi à décliner cette « victime » en une galerie de personnages inoubliables où les frontières entre la violence et la grâce, et entre la bêtise et l’innocence sont indiscernables.
Et ce n’est pas un hasard si, à l’occasion de cet hommage à Flannery O’Connor, nous ouvrons de nouveau nos pages à Pierre Jean Jouve, Balzac, Miguel Torga et au grand prosateur grec Alexandre Papadiamantis. Sans oublier tout le reste de la matière, les dessins humoristiques de Sempé inclus, qui, d’une manière ou d’une autre, confirme les prémonitions de Čapek et d’O’Connor.
SOMMAIRE
L'Atelier du Roman n° 103
Flannery O’Connor – Le réalisme des lointains
SOMMAIRE
Ouverture
Cécilia Dutter, Grandeur et solitude de l’écrivain croyant
Jean Berthier, Paroles et parole
Nunzio Casalaspro, La terrible grâce du Seigneur
Sylvie Perez, L’art de la chute
Myrto Petsota, Résonances fécondes
Lambros Kampéridis, Catholique comme un athée dans le Sud américain
Romain Debluë, Le scandale
Trevor Cribben Merrill, Le roman selon Thomas d’Aquin
Pascale Privey, La vanité et la grâce
Emmanuel Dubois de Prisque, Pourquoi y a-t-il Flannery O’Connor plutôt que rien ?
Jérôme Couillerot, L’inouï et son double
Lakis Proguidis, Prophètes sans prophéties
Dates et œuvres
À la une : Yannick Roy
Critiques
Philippe Raymond-Thimonga, Dieu dans l’atelier de Pierre Jean Jouve
Yves Lepesqueur, Christine de Pizan romancière ?
Lakis Proguidis, La voix d’une civilisation – Alexandre Papadiamantis
À la une : Trevor Cribben Merrill
De près et de loin
Maja Brick, La vacuité du Paradis
Patrice Charrier, En relisant Le Père Goriot
Les cahiers de l’Atelier
Alexandre Papadiamantis, Gagátos et le cheval
Olivier Biégelmann, Hors-Monde
Mikaël Gómez guthart, Le chasseur de parenthèses
À la une : Théo Ananissoh
Au fil des lectures
Massimo Rizzante, À l’écart de tout, l’art de Miguel Torga
OUVERTURE
L'Atelier du Roman n° 103"
Flannery O’Connor – Le réalisme des lointains
La qualité prophétique du romancier est liée à ce qu’il est capable de voir dans les choses proches les prolongements de leur signification, et capable de voir les choses lointaines de très près. Le prophète est un réaliste des lointains. C’est un réalisme de cette nature que l’on trouve dans les meilleurs exemples du grotesque moderne.
Ces lignes sont extraites de la conférence que Flannery O’Connor a donnée au Wesleyan College de Macon, en Géorgie, à l’automne 1960. Titre: «De quelques aspects du grotesque dans le roman du Sud.»
De Tolstoï à Chesterton et d’Anna Maria Ortese à Bernanos, il y a toujours eu de grands romanciers chrétiens dont les œuvres continuent d’être lues dans le monde entier. C’est à cette famille qu’appartient Flannery O’Connor (1925-1964). Quoique disparue prématurément, Flannery O’Connor a publié deux grands romans, La Sagesse dans le sang et Et ce sont les violents qui l’emportent, et trois recueils de nouvelles. Sur fond d’une quête existentielle et spirituelle qui n’a pas sa pareille, sa prose viscéralement antilyrique met en scène un des plus grands paradoxes du monde contemporain: plus ce monde est assujetti au rationalisme et à l’utilitarisme, plus il devient la proie facile du manichéisme, de la superstition et de la violence gratuite.
Je m’acquitte maintenant de la promesse faite à Philippe Muray de consacrer un numéro de L’Atelier du roman à Colette et un autre à Flannery O’Connor. Celui sur Colette a déjà été réalisé, il y a un an: «Colette – Les mille facettes de la séduction», n° 99, décembre 2019.
Ne nous fatiguons pas de lire et relire nos contemporains : Balzac (Patrice Charrier), Aimé Césaire (Théo Ananissoh), Miguel Torga (Massimo Rizzante) et Christine de Pizan (Yves Lepesqueur).
La science est puissance principale et, partant, aussi principale puissance politique. Ce qui compte, ce ne sont pas toujours (pas uniquement) ses réalisations, mais surtout le contrôle exercé par ses institutions qui canalisent tous les efforts « scientifiques », en sorte qu’il ne se passe rien, extérieurement ou intérieurement, en dehors d’elles. Ceci est cause d’une spécialisation à outrance, jointe à un dilettantisme pour ce qui est des « visions du monde », d’une haine de la philosophie comme mise en question et possibilité que la pensée prenne à tout instant une tournure imprévue.
Jan Patocka, L’Europe après l’Europe.
À Pierre Jean Jouve (Philippe Raymond-Thimonga) nous avons consacré le numéro 56 (décembre 2008) et à Alexandre Papadiamantis (celui qui signe) le numéro 30 (juin 2002). Deux écrivains chrétiens pas très catholiques. Question de voir, encore une fois, combien sont innombrables les voies du roman.
Muray nous manque terriblement. Il était le seul à pouvoir parodier le langage des spécialistes qui, ces derniers temps, nous assaille de toutes parts.
Sans jamais douter de sa foi, Flannery O’Connor n’a pas voulu, comme on peut le constater par ses autres écrits littéraires et sa correspondance, que son œuvre soit évaluée à l’aune de critères moraux et religieux. Son souci principal, comme pour tout romancier authentique, était de créer des personnages aptes à incarner nos mystères existentiels. Et cela contre «l’opinion, écrit-elle dans un de ses essais, qui depuis le xviiie siècle, et d’âge en âge, a tendance à croire que les mystères et les maux de la vie finiront par se dissiper grâce au progrès humain, et cette croyance persiste alors que pour la première fois cette génération doit faire face à l’extinction totale en raison de ce progrès».
N’arrêtons pas d’observer ce monde-ci (Yannick Roy, Trevor Cribben Merrill) ou l’autre (Maja Brick), ou tantôt l’un, tantôt l’autre, à la manière de Sempé.
2021. Le 104e numéro (mars) sera consacré à la VIIe Rencontre de Thélème: «Désir d’ailleurs: désir de liberté?», le 105e (juin), à Philip K. Dick, le 106e (septembre), à Danilo Ki‹ et le 107e (décembre), à John Cowper Powys.
Et pour ne pas désespérer, continuons à cultiver notre petit jardin des «tournures imprévues» (Olivier Biégelmann), Mikaël Gómez Guthart et Alexandre Papadiamantis).
L. P.