L'Atelier du Roman n° 96
L’identité contre la liberté
Pour la cinquième année consécutive a eu lieu en Touraine, au mois d’octobre dernier, la Rencontre de Thélème consacrée, comme les précédentes, à la liberté. Cette fois, le sujet proposé par Belinda Cannone concernait le rapport entre l’identité et la liberté.
À Thélème c’est le dialogue. Dans ce numéro sont publiés les articles rédigés ultérieurement par les écrivains invités – parmi lesquels François Taillandier, Christian Godin, Patrice Jean et Simonetta Greggio.
Liberté rime avec l’écoute du passé (Homère, Verne, Anatole France), avec la critique (Piglia, Houellebecq, Fanny Taillandier), avec les chroniques venues d’ailleurs et avec l’humour de Sempé.
L'Atelier du Roman n° 96
L’identité contre la liberté
SOMMAIRE
Ouverture
L’identité contre la liberté
Belinda Cannone, L’art par temps d’identitarisme
François Taillandier, Je ne serais qu’une ombre
Denis Wetterwald, Notre identité, les vagues…
Christian Godin, L’identité fait-elle obstacle à la liberté ?
Lakis Proguidis, Réminiscences poétiques
Judith Coppel, Plaidoyer en faveur des mollusques
Yves Hersant, Trois guides
Patrice Jean, Mon petit Lyré et la pâte à modeler
Boniface Mongo-Mboussa, James Baldwin, un bâtard (assumé) de l’Occident
Simonetta Greggio, Identité et liberté
À la une : Olivier Maulin
Critiques
Massimo Rizzante, Ricardo Piglia ou la critique des écrivains
Raphaël Arteau-Mcneil, Sérotonine : Ceci est mon corps, livré pour vous
Adrian Mihalache, Un homme dans son siècle – L’Éternel Adam, de Jules Verne
Yves Lepesqueur, Territoire sans carte – Par les écrans du monde,
de Fanny Taillandier
Raphaël Arteau-Mcneil, L’art de l’essai – La Littérature malgré tout,
de François Ricard
À la une : Boniface Mongo-Mboussa
Les cahiers de l’atelier
Dorothea Marciak, Une Pénélope
Stéphane Chao, L’avènement d’Ulysse
À la une : Yves Lepesqueur
Entretien
Matthieu Jung – Charles Villalon, Retour à Thomas Zins
Au fil des lectures
Isabelle Daunais, Sancho et le fil de la lecture
Le thème de la VIe Rencontre de Thélème
L'Atelier du Roman n° 96
L’identité contre la liberté
Ouverture
Une revue littéraire ne vaut que dans un monde où les revues littéraires prolifèrent. C’est seulement dans un tel monde qu’une revue littéraire peut jouer son rôle principal : promouvoir le dialogue des écrivains autour des valeurs qui ont peu à voir avec les impératifs du Marché.
En 2014 L’Atelier du roman a inauguré ses Rencontres de Thélème. Thème permanent: la liberté. Chaque année nous scrutons le même mot. Le même mot mais différemment. Car chaque fois c’est un autre écrivain qui introduit le sujet. 2014: «Mot de passe: Thélème!» (François Taillandier). 2015: «Quelles règles pour quel jeu?» (Jean-Yves Masson). 2016: «Liberté, quel intérêt?» (Pia Petersen). 2017: «Une liberté impertinente» (Denis Grozdanovitch). L’année dernière la Rencontre a été introduite par Belinda Cannone: «L’identité contre la liberté».
On confond de plus en plus débat et dialogue. Pourtant la différence crève les yeux : dans un débat, comme son nom l’indique, il y a toujours des gagnants et des perdants ; au dialogue tout le monde gagne.
Dialogue rime avec interlocuteurs qui parlent en leur nom. Sinon nous sommes en régime de communication ou, ce qui revient au même, de publicité.
La perfection du système de communication se solde par la disparition des interlocuteurs ; sans parler du triomphe du signe sur le signifié dans les arts et, maintenant, de la chose sur l’image… Processus circulaire : la pluralité se résout en uniformité, sans supprimer la discorde entre nations ni la séparation des consciences ; la vie personnelle, exaltée par la publicité, se dissout en vie anonyme : la nouveauté journalière finit par devenir répétition et l’agitation débouche sur l’immobilité.
Octavio Paz, L’Arc et la Lyre, 1956.
Je tiens à remercier la Région Centre, l’association Autour de Babel et la Commune de Seuilly pour leur soutien continu.
L’abbaye de Seuilly, l’endroit où ont lieu nos Rencontres de Thélème, se trouve à huit cent mètres de la Devinière. C’est là, dit-on, qu’a vu le jour celui qui a su transformer le vin en verbe et les passions trop humaines en joutes joyeuses.
Le Marché n’a aucun intérêt à soutenir les revues littéraires. Rien ne doit échapper à sa logique, à son rythme, à sa périodisation saisonnière, à son temps structuré autour de ce qui se vend à ce moment-là.
Comment être sûr qu’on arrivera à dire quelque chose d’intéressant si on n’est pas en dialogue ininterrompu avec le passé, tant lointain, comme celui d’Homère (Dorothea Marciak, Stéphane Chao), que récent, comme celui de Cervantès et d’Anatole France (Isabelle Daunais) ?
Platon, l’inventeur du mot et expert en la matière, recommandait vivement d’agrémenter les dialogues des digressions. D’où cette escapade en Géorgie (Yves Lepesqueur) et cette quête poétique russo-africaine (Boniface Mongo-Mboussa).
Dans le 94e numéro (septembre 2018) nous avons publié neuf articles sur Le Triomphe de Thomas Zins de Matthieu Jung. Neuf articles, neuf éclairages différents sur un roman apparemment inépuisable. Le temps est venu afin que l’auteur, interviewé par Charles Villalon, nous livre le sien.
À Thélème nous discutons et passons un bon moment ensemble. Les articles des participants qui paraissent dans le présent numéro sont le fruit d’un travail ultérieur.
Dialogue des écrivains rime avec polyphonie diachronique. Autrement dit, il faut faire résonner Houellebecq (Olivier Maulin, Raphaël Arteau-McNeil) avec Piglia (Massimo Rizzante), Verne (Adrian Mihalache), Fanny Taillandier (Yves Lepesqueur), François Ricard (Raphaël Arteau-McNeil) et Sempé.
Et avec beaucoup d’autres, s’entend. D’où, je le répète, le besoin vital des revues littéraires.
L. P.
L'Atelier du Roman n° 95
Simon Leys ou le plaisir de la critique
L’Atelier du roman, fête ses 25 ans d’existence avec ce 95e numéro consacré à Simon Leys.
Pouquoi Leys? Parce que son esprit critique, son honnêteté intellectuelle, son cosmopolitisme, son humour et sa défense inconditionnelle de la primauté de l’art face aux idéologies, représentent les valeurs sur lesquelles est fondée la revue et qu’elle essaie d’incarner, numéro après numéro.
Des chroniques, des pages sur V.S. Naipaul, Bernanos, Sylvain Tesson, Dostoïevski, Kenneth White, Frannery O’Connor et Hermann Broch, ainsi que les dessins humoristiques de Sempé complètent la matière de ce numéro d’anniversaire.
L'Atelier du Roman n° 95
SOMMAIRE
Simon Leys ou le plaisir de la critique
Ouverture
Emmanuel Dubois de Prisque, Napoléon et ses doubles
Patrice Jean, Le militantisme et son antidote
Denis Grozdanovitch, L’«honnête homme» Pierre Ryckmans
Eryck de Rubercy, Simon Leys, lecteur de Don Quichotte
David Collin, D’une Chine à l’autre – Segalen-Leys
Bernard Quiriny, Leys et l’oreiller crevé
Mehdi Clément, Les hauts-fonds de la certitude – De Leys à Alexandrou
Morgan Sportès, Leys, Mao et moi
Julian Evans, Quatre mots clés
Myrto Petsota, Du sens !
Florent Georgesco, Qu’est devenue Maria-Antonietta Macciocchi ?
Thierry Gillybœuf, Les identités multiples de Simon Leys
Lakis Proguidis, Un dissident occidental - Dates et œuvres
À la une: Yannick Roy
Critiques
Marie-Louise Audiberti, Soleil grec – Un été avec Homère, de Sylvain Tesson
Olivier Maillart, Deux lectures de Georges Bernanos
Baptiste Arrestier, Hermann Broch et l’aspect cognitif du roman
– Une éthique de la totalité
À la une: Trevor Cribben Merrill
Les cahiers de l’atelier
Eryck de Rubercy, Kenneth White ou le splendide hasard de la rencontre
Kenneth White, Le songe d’une nuit d’hiver suivi de L’esprit de limite
À la une: Théo Ananissoh
Au fil des lectures
Marek Bienczyk, La rame, la cuiller – Quelques remarques sur la lenteur
De près et de loin
Fernando Arrabal, Le plaisir douloureux de pleurer
Lakis Proguidis – Morgan Sportès, De la critique (Une discussion) ouverture
L'Atelier du Roman n° 95
Ouverture
Avec ce numéro, L’Atelier du roman fête ses vingt-cinq ans. Aucun écrivain n’illustre mieux la raison d’être de notre revue que Simon Leys. Aucun écrivain ne peut mieux représenter notre ambition de pratiquer une critique littéraire «plaisante et robuste», comme il est noté dès l’«ouverture» du premier numéro.
«Identités multiples». Le titre que Thierry Gillybœuf a choisi pour son article concernant Simon Leys peut parfaitement être repris pour concrétiser l’ensemble du travail que nous avons effectué pendant vingt-cinq ans. En soulignant toutefois que, comme dans le cas de Simon Leys, ce sont des «identités» intégrées dans une partition polyphonique, jamais achevée.
Simon Leys (1935-2014) est surtout connu pour son «témoignage» Les Habits neufs du président Mao (1971), un livre en contraste absolu avec les illusions d’une grande partie des intellectuels occidentaux des années soixante à propos de la Révolution culturelle chinoise. Mais le succès d’un livre peut parfois occulter la valeur des autres. C’est ce qui est un peu arrivé avec Leys. Pourtant, il s’agit d’un esprit universel, autant exquis que fécond, couvrant plusieurs champs littéraires: de la critique d’art et littéraire au reportage, des récits de voyage au roman et de la traduction à la haute sinologie.
Double anniversaire: vingt ans déjà que Jean-Jacques Sempé illustre cette revue!
L’«ouverture» du premier numéro se terminait ainsi: «Un seul pari à tenir: sortir complètement de la tradition “dossier”, aller directement au but, ouvrir la porte de l’atelier des écrivains honorés, y faire irruption, sans préliminaires, sans savantes et inutiles notes biographiques, sans fouiller dans leur vie privée et, surtout, sans terroriser les lecteurs avec l’érudition des fichiers.»
Les Lotophages […]. Certains lettrés ont voulu deviner à quelle plante le loto faisait référence. Ces savants se trompaient de recherches car le loto métaphorise les occasions de nous détourner de l’essentiel. Après tout, les heures que nous passons, hypnotisés par les écrans digitaux, oublieux de nos promesses, dispendieux de notre temps, distraits de nos pensées, indifférents à notre corps qui s’épaissit devant le clavier, ressemblent aux heures hagardes des marins d’Ulysse sur l’île empoisonnée. Les tentacules de la société digitale s’immiscent en nous. Ils nous arrachent à l’épaisseur de la vie vécue.
Sylvain Tesson, Un été avec Homère, 2018.
L’Atelier du roman a ses racines dans le séminaire que Milan Kundera a tenu à l’École des hautes études en sciences sociales de 1980 à 1994 sur le grand roman centre-européen. Nous sommes des cosmopolites. Pas des déracinés.
Que Fernando Arrabal me permette d’ajouter à la liste de ses illustres amis défunts, que nous n’oublierons jamais, les noms de Philippe Muray et de Michel Déon.
J’aimerais exprimer toute ma gratitude envers les six cents écrivains du monde entier qui nous ont jusqu’aujourd’hui confié leurs écrits. La «francophonie littéraire» que nous avons initiée il y a une vingtaine d’années n’est pas une utopie.
Le premier numéro de L’Atelier du roman a été consacré à Hermann Broch. En hommage à Kundera qui avait consacré deux ans de son séminaire aux Somnambules. Nous sommes des héritiers (Massimo Rizzante dixit). La lignée remonte à Homère. Sans ce passé solide, riche et toujours vivant, on ne peut rien faire de nouveau.
En relisant l’ensemble de la matière sous sa forme définitive, j’ai subitement eu la sensation d’être dans un voilier en haute mer. Espérons que le bon marin Leys ne sera pas déçu de ses coéquipiers, morts et vivants: Dostoïevski (Yannick Roy), Sylvain Tesson (Marie-Louise Audiberti), Kenneth White (Eryck de Rubercy), Bernanos (Olivier Maillart), V. S. Naipaul (Théo Ananissoh), Martin Mosebach et Flannery O’Connor (Trevor Cribben Merrill), Hermann Broch (Baptiste Arrestier). Notons aussi la présence de Marek Bienczyk, impatient de retourner à son cher canoë, et de Morgan Sportès, à la proue, en train de débattre avec celui qui signe de l’éternelle question du monde médiatique.
Programme 2019:
no 96, L’identité contre la liberté ; no 97, À quoi le roman nous relie-t-il ?
no 98, Chaka, de Thomas Mofolo
no 99, Colette.
Nous sommes les héritiers d’un art, certes, mais aussi, ne l’oublions pas, d’un métier. Un grand merci à nos compagnons.
L. P.
L'Atelier du Roman n° 94
Le Triomphe de Thomas Zins
Bon an mal an, on trouve toujours un roman pour lui accorder le qualificatif de chef-d’œuvre. Et quand, un jour, le vrai chef-d’œuvre apparaît, il n’y a presque personne pour le signaler.
Ainsi, pour L’Atelier du roman, revenir sur Le Triomphe de Thomas Zins de Matthieu Jung, un an après sa publication aux Éditions Anne Carrière, était une sorte de devoir.
Réunir plusieurs sensibilités différentes autour de la même œuvre constitue une sorte de dialogue esthétique – de nos jours plus que nécessaire. Car c’est par le croisement de nos lectures que les romans s’enrichissent et peuvent tenir face aux puissances de l’éphémère.
Dans le reste de la matière, ce dialogue prend d’autres formes (critiques, nouvelles, chroniques et réflexions libres) et bifurque aussi vers des districts extra-romanesques (la poésie, la danse), sans jamais perdre le lien avec les dessins humoristiques de Sempé.
L'Atelier du Roman n° 94
SOMMAIRE
Le triomphe de Thomas Zins, de Matthieu Jung
Une chute sans fin
François Taillandier, Ce roman…
Charles Villalon, Un pays sans consolation
Reynald Lahanque, Le contrepoint indochinois
Romaric Sangars, Démonologie du Triomphe
Lakis Proguidis, Ces enfants intégrés
Olivier Maulin, L’épisode indochinois: un roman dans le roman
Florent Georgesco, Le diable porte des espadrilles
Cyril de Pins, Le lycéen de Nancy ou les malheurs d’un provincial
Dominique Noguez, Commentaire éclaté d’un roman éclatant
À la une: Boniface Mongo-Mboussa
Critiques
Mojmír Grygar, Les Buddenbrook: le roman et le film
Jean-Yves Masson, Lettres ultimes – L’Épistolier d’autrefois, de Germont
Romain Debluë, Paul Claudel interroge le roman
Thierry Gillybœuf, La démocratie dans la baignoire – Dans les eaux profondes, d’Akira Mizubayashi
Les cahiers de l’Atelier
Natalia Tolstoï, Le mouvement des femmes
Benoît Heurtel, Le cauchemar de Goethe
Éric Alter, Nous sommes des images qui passent
À la une : Yves Lepesqueur
De près et de loin
Mounir Zakriti, Remuer Ciel et Terre
Gaëtan Brulotte, De la souffrance (Quelques notes)
Florent Duffour, Danser contre les femmes (tout contre)
Au fil des lectures
François Taillandier, N’importe quoi au hasard
L'Atelier du Roman n° 94
Ouverture
Le triomphe de Thomas Zins, de Matthieu Jung
Une chute sans fin
Bon an mal an, on trouve toujours un roman pour lui accorder le qualificatif de chef-d’œuvre. Et quand, un jour, le vrai chef-d’œuvre apparaît, il n’y a presque personne pour le signaler. Ainsi, pour L’Atelier du roman, revenir sur Le Triomphe de Thomas Zins de Matthieu Jung, un an après sa publication aux Éditions Anne Carrière, était une sorte de devoir. Il fallait préserver de l’oubli ce travail colossal où se combinent originalité formelle et plaisir romanesque avec une maîtrise extraordinaire. Ce qui n’arrive que très rarement de nos jours. C’est le constat commun de tous les collaborateurs, que je tiens à remercier.
La revue est par excellence le lieu de l’essai, dans tous les sens du terme: un lieu où la pensée, l’écriture, le style, la théorie, la critique, la création se mettent à l’épreuve, acceptent de se donner comme inachevés, partiels, encore en voie de formation, et donc sujets à d’éventuelles révisions et contradictions. Écrire dans une revue, de même que lire une revue, c’est consentir à cette mouvance, à ce déploiement de l’esprit dans le temps, parmi les aléas des circonstances et du changement: work in progress.
Mais est-ce que je ne parle pas d’une chose devenue de plus en plus rare, de plus en plus improbable, dans les nouvelles conditions qui sont faites aujourd’hui à ce que nous appelions alors la «littérature»?
François Ricard, La Littérature malgré tout, Boréal, 2018.
Au café: «Alors, Jean-Yves, que nous proposez-vous pour cette rentrée? – Un formidable roman de Germont. À mon avis il s’agit d’une œuvre qui mérite d’être largement connue mais je crains qu’elle ne passe inaperçue… – Vous pouvez toujours en parler dans les pages de L’Atelier, vous savez. – Mais j’en suis l’éditeur. – Raison de plus. Nous sommes nombreux à vouloir connaître ce que pensent les éditeurs à propos de ce qu’ils publient.»
Il y a un certain temps, un éditeur nous faisait remarquer que nous parlons trop peu de romans publiés en France, année après année. Normal, ai-je répondu. Pour une revue dont l’ambition est de stimuler le dialogue esthétique autour de l’art du roman, son premier souci n’est pas de suivre la production éditoriale. C’est de donner la parole aux écrivains et aux critiques littéraires pour exposer ce qui, concernant ledit art, compte selon eux déjà ou doit compter dans l’avenir.
Il faut de tout pour faire un dialogue esthétique. Il faut se souvenir de Thomas Mann (Mojmír Grygar), revenir à Goethe (Benoît Heurtel), se pencher sur les propos d’Akira Mizubayashi (Thierry Gillybœuf), expliquer les rapports de Claudel au roman (Romain Debluë) et défendre Senghor (Boniface Mongo-Mboussa). Il faut parler des femmes (Natalia Tolstoï, Yves Lepesqueur), réfléchir sur la souffrance (Gaëtan Brulotte), observer les humains en train de se perdre dans leurs propres rêves (Éric Alter), danser (Florent Duffour), se souvenir de la poésie médiévale (François Taillandier) et, surtout, ne pas se prendre au sérieux – merci à Jean-Jacques Sempé. Bref, il faut remuer ciel et terre (Mounir Zakriti) et faire beaucoup d’autres choses encore. D’où le fait qu’une revue littéraire ne se limite pas à un seul numéro.
Un homme qui s’attache aux harmonies, qui n’associe les étoiles qu’avec les anges, ou les agneaux avec les fleurs printanières, risque d’être bien frivole, car il n’adopte qu’un seule mode à certain moment ; et puis ce moment une fois passé, il peut publier le mode en question. Mais un homme qui tâche d’accorder des anges avec des cachalots doit, lui, avoir une vision assez sérieuse de l’univers.
G. K. Chesterton, in L’Ange et le cachalot, de Simon Leys.
Précisons: primo, le dialogue esthétique n’est pas un débat. Nous ne distribuons pas des rôles d’avance d’après je ne sais quelles appartenances de nos auteurs. Secundo, le dialogue esthétique n’a rien à faire avec la recherche universitaire. Nous ne visons pas à l’analyse des œuvres, mais à leur approfondissement par lectures interposées. Nous discutons dans le but de devenir des lecteurs un tant soit peu moins superficiels.
Tant qu’il y aura des revues, nous tenons la preuve que la vie littéraire ne sera pas entièrement alignée au calendrier éditorial.
La Ve Rencontre de Thélème sur la liberté aura lieu les 6 et 7 octobre à l’abbaye de Seuilly (Touraine). Cette année le sujet proposé par Belinda Cannone est: «L’identité contre la liberté».
L. P.
Cliquer pour agrandir
L'Atelier du Roman n° 87
Morgan Sportès – Du fait divers à l’histoire et vice versa
Il y a vingt-trois ans, on pouvait lire dans l’Ouverture du premier numéro de L’Atelier du roman (Hermann Broch): «Un seul pari à tenir: sortir complètement de la tradition “dossier”, aller directement au but, ouvrir la porte de l’atelier, y faire irruption, sans préliminaires, sans savantes et inutiles notes biographiques, sans fouilles dans la vie privée de l’artiste et, surtout, sans terroriser les lecteurs avec l’érudition des fichiers. Telle est la ligne à suivre pour tout notre travail.»
***
Il serait probablement difficile de trouver aujourd'hui en France un autre romancier disposant d’une palette thématique aussi large que Morgan Sportès. Connu du grand public grâce à l’adaptation cinématographique par Bertrand Tavernier (Ours d’or de Berlin) de son roman L’Appât (1990), Sportès construit depuis trente-cinq ans une œuvre romanesque à la fois populaire, exigeante sur le plan artistique et multiforme.
***
Ce qui se raréfie de nos jours, ce sont les artistes qui ambitionnent d’avoir une emprise sur le monde, une vision du monde. Une vision du monde! Des fantaisies de l’ancien monde, n’est-ce pas? Maintenant c’est le «divin marché» (Dany Dufour) qui règne et règle la vision de tous les citoyens.
***
Merci, Jean-Jacques. Même si votre dessin de la couverture ne provoque pas l’effet souhaité, nous protéger des agélastes, cela nous suffit.
***
De l’Inde (Yves Lepesqueur) à Cuba (Massimo Rizzante) en passant par la France (Fanny Taillandier), nos chroniqueurs – sans consultation préalable, sans connaître la matière principale – ont tissé la toile de fond sur laquelle se joue l’œuvre de Morgan Sportès.
***
L’ordre des rubriques perturbe l’ordre naturel des choses. C’est-à-dire qu’il est préférable de lire d’abord les deux nouvelles de Bernard Dilasser et ensuite l’article que lui consacre Claire Tencin.
***
Aujourd’hui, la destruction et les horreurs sont peut-être la seule source d’espoir puisqu’elles expriment de manière impitoyable l’insatisfaction de l’homme face à lui-même et à sa propre vision du monde, ainsi que son désir de changement. Son désir de comprendre et de pardonner, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
Viivi Luik, Le Petit Placard de l’homme, 1998.
***
On pouvait encore lire dans cette même Ouverture du premier numéro de L’Atelier du roman, il y a vingt-trois ans: «Nous n’aimons ni les “retours à” ni les manifestes. Nous voulons tout simplement prendre de la distance, nous éloigner un peu de la navette dans laquelle semblent être embarqués critiques, romanciers et public.» De la distance… Cela peut être à la manière de Boniface Mongo-Mboussa (chercher à identifier la ville natale de l’aïeul africain de Pouchkine), ou de Maxence Caron (Beckett), ou de Thibault Ulysse Comte (réfléchir sur nos rapports au passé), ou de Romain Debluë (Millet), ou de Patrice Charrier (partir en Amérique avec Georges Duhamel), ou de Gérald Sibleyras (rire avec nos semblables, nos frères).
***
Qu’il regarde du côté de l’actualité ou de la grande Histoire, qu’il s’arrête sur sa vie intime ou qu’il rouvre des dossiers « classés », Morgan Sportès n’écrit pas pour écrire, ne suit pas les modes et les tendances littéraires concoctées d’avance. Il met en scène sa vision du monde.
Lakis Proguidis
Sommaire
Morgan Sportès – Du fait divers à l’histoire et vice versa: |
Œuvres |
L'Atelier du Roman n° 82
Döblin, notre contemporain
Ouverture
Il faut d’abord rendre hommage à Günter Grass: il fut le premier à tirer de l’oubli Alfred Döblin. Le jour de sa mort, je me suis dit que nous étions maintenant un peu plus démunis. Un de ces grands esprits qui créaient encore en dialogue avec le passé quittait la scène.
Si on peut parler d’un grand romancier étranger du xxe siècle dont l’ensemble de l’œuvre reste encore très mal connu en France, ce ne pourrait être qu’Alfred Döblin (1878-1957). Juif né en Allemagne, exilé en France (dont il obtient la nationalité) en 1933 et, puis, en 1940, parti aux États-Unis, converti au catholicisme en 1941, revenu en France puis en Allemagne après la guerre, Döblin incarne à lui seul, tant par sa biographie que par son œuvre, les bouleversements historiques et sociaux qui ont façonné le visage de son époque et dont les conséquences continuent à peser de manière dramatique sur le monde actuel.
Cette année est le 80e anniversaire de la naissance de Danilo Kis (mort en 1989). Nous lui avons consacré le 8e numéro de L’Atelier du roman (automne 1996).
Depuis, nous sommes à maintes reprises revenus sur son œuvre. Nous y revenons aujourd’hui grâce à Pascale Delpech. Et nous y reviendrons dans l’avenir car Kis fait partie de notre fonds esthétique.
Une fois la fièvre médiatique retombée, le temps est venu de parler du dernier roman d’Houellebecq (Emmanuel Dubois de Prisque).
Rappel: avec les articles que nous consacrons à Döblin nous n’avons pas l’intention d’épuiser, comme on dit, le sujet. Comme toujours, nos choix ne sont pas dictés par les nécessités de la «recherche» mais par celles du plaisir.
À l’occasion de la 35e édition du Salon du livre, Paris devient, durant trois jours, la plus grande scène littéraire d’Europe. Le public va pouvoir approcher ses écrivains préférés et découvrir ceux du Brésil. Ce pays, invité d’honneur, est représenté par une délégation de quarante-huit auteurs. Parmi eux, Paulo Coelho, l’un des romanciers les plus lus dans le monde (à qui l’on doit «L’Alchimiste», vendu à plus de 60 millions d’exemplaires!), et Daniel Munduruku, docteur en sciences de l’éducation et en littérature, «écrivain indigène» qui a déjà quarante-cinq livres à son actif. Dimanche, les lauréats des prix littéraires 2015, ainsi que des mangakas venus du Japon, seront reçus sur une scène spéciale. Et pour les parents accompagnés de leurs bambins, un «Square jeunesse» propose des animations et des rencontres avec des stars de la littérature qui leur est destinée.
C. H., Pariscope, 18-24 mars 2015.
À la lecture de ces lignes, annoncées d’ailleurs par un titre tout à fait approprié («Carnaval du livre»), je me suis souvenu du dessin prophétique de Sempé (p. 165), déjà paru mais la répétition ne fait pas de mal. Merci, Jean-Jacques !
C’est Alfred Döblin qui a attiré vers lui Roger Vailland (Alain Paucard), Evelyn Waugh (Trevor Cribben Merrill) et Lucien Rebatet (Romain Debluë). Afin de ne pas être seul dans le chaudron de l’Histoire.
La liberté d’expression est une chose. L’expression de la liberté en est une autre tout à fait différente. On s’en rendra compte à la lecture des pages sur Rousseau (Jean-Philippe Domecq), sur Calvino et Celati (Massimo Rizzante), sur notre avenir (Nikos Mavridis) et sur la vie tout court (Mathieu Diguet).
Vu les vagues de violence qui secouent nos sociétés, on aurait pu s’attendre à ce que Döblin soit beaucoup plus lu et connu. Évidemment, il n’en est rien. Parce que le dernier souci de notre monde est de mener une réflexion sur l’état où il est. Il lui suffit de produire la violence, de la consommer et de fabriquer en série des indignés, alias des intellectuels qui la condamnent.
Ce n’est pas un hasard si Kis côtoie ici Döblin. Les grands oubliés du siècle passé s’associent et contre-attaquent.
On nous a dit que pour réussir de nos jours il faut, primo, «se tourner vers l’image»… merci Mikaël Blanc. Secundo, «avoir l’esprit ouvert vers l’extérieur». Ce que nous faisons grâce aux chroniques d’Yves Lepesqueur et de Boniface Mongo-Mboussa. Et, tertio, «avoir l’esprit de l’entreprise». Ce que nous faisons également grâce à Olivier Maulin. Pour commencer…
L. P
Retour page Anciens numéros
L'Atelier du Roman n° 82
Sommaire
ouverture
À la Une : Olivier Maulin
Döblin, notre contemporain
Jean Levi, La violence et l’histoire
Bernard Banoun, De l’Himalaya à Berlin
Eryck de Rubercy, La vision épique de Wang Lun
Denis Wetterwald, L’art de s’abandonner à ses enchantements intérieurs – Hamlet ou La longue nuit prend fin
Éric Naulleau, Place Centrale – Döblin et Fassbinder
Marie-Laure Wagner, Un grand seigneur du roman
Frédéric Weinmann, Fuir une mort inévitable – À la recherche du pays-où-l’on-ne-meurt-pas
David Collin, Le roman comme moyen d’émancipation
Dominique Dussidour, Chassés-croisés entre le roman et l’Histoire
Lakis Proguidis, Guerre et psyché – Hamlet ou La longue nuit prend fin
Dates et œuvres
À la Une :
Yves Lepesqueur
Critiques
Trevor Cribben Merrill, Le rire charitable d’Evelyn Waugh
Romain Debluë, Lucien Rebatet : splendeurs et misères de la condition humaine
Emmanuel Dubois de Prisque, Mensonge islamique et vérité romanesque – À propos de Soumission, de Michel Houellebecq
Jean-Philippe Domecq, Rousseau et la jouissance d’avoir raison seul
Alain Paucard, Roger Vailland (1907-1965), demi-solde
À la Une :
Boniface Mongo-Mboussa
Les Cahiers de l’Atelier
Danilo Kiˇs, Une petite nouvelle sur le Monténégro
Mathieu Diguet, Le grenier
Nikos Mavridis, Et vogue le navire
Au fil des lectures
Massimo Rizzante, Le géographe et le voyageur en visite aux ruines de l’Histoire
Retour page Anciens numéros
L'Atelier du Roman n° 81
Liberté – Mot de passe: Thélème !
Ouverture
Après quatorze Rencontres (1999-2012) en Grèce, L’Atelier du roman a inauguré en septembre 2014 un nouveau cycle de Rencontres à l’abbaye de Seuilly (Touraine) sous le titre générique les Rencontres de Thélème. Le thème sera toujours le même: la liberté. Chaque année il sera introduit par un romancier différent. Cette première année il est revenu à François Taillandier de rédiger le court texte d’appel (page 13).
Quant aux raisons qui ont conduit à ce changement, elles sont exposées dans l’allocution prononcée lors de la séance d’ouverture.
Nous tenons à remercier l’Association Autour de Babel et son président Jean-Marie Laclavetine, Christiane Rigaux (Conseillère Générale de la région Centre), Jacques Aupic (Maire de Seuilly), Jean Albert (Maire de Saint-Germain-sur-Vienne) et le Crédit Mutuel. C’est grâce à leur soutien que nous avons pu recommencer nos Rencontres.
Vu de Sirius, le grand événement de la «rentrée» de janvier a été, incontestablement, la parution du premier tome du Journal de Philippe Muray.
Il faut de tout pour faire un atelier. De la poésie (Joël Roussiez), des souvenirs (Christian Pasturel), des faits divers (Yannick Roy) et des expérimentations (Bruno Maillé).
Il faut surtout s’entretenir avec le passé (Jean-Paul Louis-Lambert, Isabelle Daunais).
La créativité institutionnelle de l’homme n’a été suspendue que lorsqu’on a permis au marché de broyer le tissu social pour lui donner l’apparence uniforme et monotone de l’érosion lunaire. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que son imagination sociale montre des signes de grande fatigue. Un jour, peut-être sera-t-il devenu incapable de retrouver la souplesse, la richesse et le pouvoir imaginatif de ses attributs primitifs.
Karl Polanyi, Essais.
Les Rencontres du nouveau cycle se veulent des variations du même symposium. Chaque année, on traitera le thème de la liberté sous un angle différent avec une équipe renouvelée.
Par les temps qui courent, la délocalisation est apparemment la seule solution (Michel Déon).
À la fin du numéro, le lecteur trouvera la proposition de Jean-Yves Masson pour la IIe Rencontre de Thélème, qui aura lieu les 3 et 4 octobre 2015.
Liberté oblige, nous avons demandé à Matéi Visniec la permission de publier un extrait de sa nouvelle inédite «La visite de la statue» (merci, Matéi).
L’aspect extérieur de L’Atelier du roman change un peu avec ce numéro. Mais nous continuons, comme depuis vingt-deux ans, à parler des romans qui ne font pas la une (Fanny Taillandier), à nous intéresser au sort de la langue française (Myrto Petsota) et à nous étonner du monde (Théo Ananissoh, Trevor Cribben Merrill).
L’abbaye de Seuilly est à huit cent mètres de la maison natale de Rabelais qui, comme chacun sait, n’entretenait pas de très bons rapports avec les agélastes. Sempé non plus (merci, Jean-Jacques !).
L. P.
Retour page Anciens numéros
L'Atelier du Roman n° 81
Sommaire
ouverture
Liberté – Mot de passe: Thélème!
François Taillandier, Tourner le dos
Pascal Fioretto, Vous êtes là, demain?
Olivier Maulin, Liberté versus libération: quand l’écrivain B. Traven s’en mêle
Boniface Mongo-Mboussa, Un Bantou à Leningrad: une expérience de liberté
Lakis Proguidis, Presque inaudible
Marek Bie´nczyk, Plenty-Coups, l’espoir radical et la liberté créatrice
Denis Wetterwald, Liberté ou libertés?
Isabelle Daunais, Un monde en circuit fermé
Béatrice Commengé, Libre au cœur du paysage
Jean-Yves Masson, Thélème au xxie siècle
Changement de cap (allocution d’ouverture)
À la une:
Yannick Roy
Critiques
Alexandre de Vitry, Muray romancier conceptuel
Fanny Taillandier, La religion du romanesque – À propos de Confiteor, de Jaume Cabré
Jean-Paul Louis-Lambert, Une bombe nommée Perutz –
Du Marquis de Bolibar à Turlupin
À la une :
Théo Ananissoh
De près et de loin
Christian Pasturel, La coiffeuse et les parapluies
Myrto Petsota, Pourquoi la question de la langue n’en est pas une
Les Cahiers de l’Atelier
Michel Déon, Hu-Tu-Fu
Joël Roussiez, Proses sans remords
Bruno Maillé, Bribes tâtonnantes
Matéi Visniec, La visite de la statue
À la une :
Trevor Cribben Merrill
Au fil des lectures
Isabelle Daunais, Une vision très loin dans le temps
Retour page Anciens numéros